VANISHING MEMORIES

Vanishing Memories

Livre d’artistes publié par les éditions Take5 en 2020,
sous la direction éditoriale de Céline Fribourg
Photographies:
Seize tirages originaux signés de Joan Fontcuberta
Textes:
La nuit ouvre ses yeux en nous, Zeno Bianu
Apprendre à rayonner, Zeno Bianu
Vanishing Memories, Joan Fontcuberta
Kintsugi, mode d’emploi, Céline Fribourg
Graphisme:
Romain Rachlin pour Les Graphiquants
Imprimé en sérigraphie par l’Imprimerie du Marais sur des papiers japonais
Boîtier dessiné par l’éditrice en collaboration avec l’artiste : miroir oxydé à la main, aux reflets d’or et d’argent, créé artisanalement au Royaume-Uni, fermant une boîte en érable teinté aux incrustations d’étain réalisée par J.Blanc
Ex-libris avec portrait gravé sur une plaque d’érable teinté
Dimensions: 46 x 32x 6,5 cm.
Chacun des trente exemplaires est numéroté et signé par les artistes

Joan Fontcuberta, penseur de l’art de la photographie, développe depuis plusieurs décennies une œuvre critique explorant le rapport de la photographie à la vraisemblance, à son pouvoir de conviction et d’autorité documentaire.

Dans le livre Vanishing Memories, une dialectique s’instaure entre l’image perdue et retrouvée, à travers un voyage imaginaire dans l’espace et le temps de notre mémoire. Les photographies de Joan Fontcuberta sont créées à partir d’archives trouvées au hasard de ses recherches. Minées par les avaries de l’humidité, de champignons ou de bactéries, elles révèlent des scènes ou des portraits dévorés par le passage impitoyable du temps, devenus des paysages abstraits. Elles laissent entrevoir des bribes de situations mystérieuses, intrigantes ou équivoques. Ce sont des images évanescentes, qui nous échappent en matérialisant une vie antérieure à jamais disparue, dont nous ne nous souvenons à peine, que nous ne reconnaissons pas et que nous ne connaitrons plus. Ce Trauma de la décomposition de l’image, la dégradation de son rôle de témoin, c'est le dernier souffle de la représentation, la mémoire défaillante, l’empreinte fantomatique. Ces photographies soulignent la fragilité de notre vie et la précarité de nos souvenirs. Historiquement, la photographie a toujours été l’instrument privilégié de la commémoration et de l’élégie, et promettait une certaine forme d’immortalité. Pourtant, alors même que son caractère infaillible a été à travers les années remis en question à cause de sa matérialité, la photographie détient toujours un pouvoir particulier : Elle laisse en effet ouvert le champ de son interprétation, et permet de multiplier dans le temps les actes de lecture qu’on peut en faire.

C’est dans cette perspective que Joan Fontcuberta « ressuscite » les images d’archive en leur donnant « une seconde vie ». Dénaturées par la nature jusqu’à la négation de leur fonction première, elles préservent leur valeur fondamentale en se muant en tableaux vivants. Elles deviennent des paysages méditatifs dans lesquels se reflète notre quête métaphysique. Que reste-t-il des êtres que nous avons aimés ? Les traces qu’ils laissent sont - elles fiables, se détériorent-elles avec les années ou les projections de notre psyché ? Si ces images nous échappent peu à peu, peut-on effacer et réparer les souvenirs traumatiques ?

Dans le texte qu’il a écrit pour le livre, l’artiste va plus loin, en prêtant une âme aux photographies. Les photographies sont certes les dépositaires de notre mémoire, individuelle ou collective. Leur altération dans le temps n’est-elle pas une forme de rébellion de leur part, une manière de signaler une image trop douloureuse ou violente ? L’avènement de la photographie numérique souligne jour après jour la fragilité des photographies argentiques. Nous sommes soumis à un déluge d’images qui prennent possession de nos vies dans l’instantané et dans l’éphémère.

Pour autant, les nouvelles technologies de l’image n’ont pas réussi à susciter le même attachement à la trace que leurs ancêtres. Il naît aujourd’hui une forme de nostalgie pour ces images « matérielles » dont le processus de création évoque la matrice maternelle.

Ce respect et cette nostalgie éprouvés à l’égard de ces photographies abîmées, malmenées par le temps n’est pas sans rappeler le Kintsugi, technique artisanale ancestrale japonaise de réparation des porcelaines brisées.

Le texte Mode d’Emploi d’une construction philosophique en dehors de l’espace et du temps est un manuel d’instruction poétique et philosophique pour la pratique du Kintsugi, qui invite à accepter la faille, à apprivoiser la blessure : La cassure est réparée et sublimée avec une couture d’or, pour magnifier la fêlure au lieu de la dissimuler. Symboliquement, il s’agit de dépasser ses traumatismes et favoriser la résilience. Cette pratique spirituelle n'a pas pour objet d'apporter une réponse confortable à la douleur ou à la confusion qui nous habitent. Au contraire, notre souffrance, nos émotions sont perçues comme autant de tremplins vers une redécouverte infinie de nous-mêmes. Le Kintsugi est une décantation patiente de chaque instant, une incessante reprise de conscience qui s'accorde à l'imprévisible du monde

Les poèmes de Zeno Bianu, Le désespoir n’existe pas, et Apprendre à rayonner, toujours intensément en prise avec le balancier de la vie, amplifient le pari farouche qui engage à transformer le pire en force d’ascension, à tenir parole sans cesser de reprendre souffle. Dans une époque vouée à la déréliction et à un renoncement hypnotique, les mots de Zéno Bianu s’imposent comme une ardente rupture, une submersion féérique et lumineuse.

Il s’agit d’un livre-miroir, suspendu, soumettant les reflets de nos visages aux déformations des méandres du mercure et de l’or de ce miroir, symbolisant le passage du temps.

Ces textes et photographies sont contenues dans un boitier qui apparaît sous la forme d’un miroir. Le lecteur est invité à plonger tout entier dans le livre, et non pas à le découvrir comme un explorateur extérieur. Il contemple son image comme si elle avait été, elle-aussi, déformée par les avaries du temps, symbolisées par les méandres d’or et d’argent de la surface réfléchissante. Les ramifications du temps sont symbolisées par des silhouettes d’arbres en étain, dessinés en marqueterie dans le cadre en hêtre teinté du boitier, qui s’élancent vers la surface nébuleuse des miroirs. La photographie n’est-elle pas « un miroir avec une mémoire   »   ?

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