Eros et Pulsion de Mort
Livre d’artistes publié en 2016, par les éditions Take5 (Genève).Essai scientifique écrit en français à quatre mains pour le livre
par Pierre Magistretti et François Ansermet
illustré par 13 photographies originales signées de:
Anoush Abrar - Valérie Belin - Tim Davis - Mounir Fatmi
Pierre Keller - Evangelia Kranioti - Natacha Lesueur
David Levinthal - Annette Messager - Vik Muniz - Sylvie Fleury
et par un dessin gravé en embossage de John Armleder
Graphisme réalisé par Gina Donzé pour Base Design Geneva,
en collaboration avec Céline Fribourg
Etui en aluminium laqué blanc, abritant une sculpture de Prune Nourry,
réalisée en céramique par l'atelier de Peter Fink à Fribourg
Cahier de traduction comprenant la traduction du texte en anglais par
Starleen K. Meyer, ainsi que des citations philosophiques et littéraires
choisies par les artistes et un poème de Carmen Campo Real
spécialement écrit en hommage à la photo de Valérie Belin
Chaque copie est numérotée et signée par tous les artistes
Tous les tirages sont également signés
Dimensions: 45 x 28 cm Edition de 35 exemplaires
En psychanalyse Eros désigne les pulsions de désir et de vie, par opposition à Thanatos, qui désigne les pulsions de mort. Freud utilise le terme grec d’Eros pour signifier l’amour (Eros étant le dieu de l’amour) mais aussi les pulsions de vie, c’est-à-dire les pulsions d’autoconservation et les pulsions sexuelles.
La compréhension du rôle d’Eros et de Thanatos implique l’acceptation d’un paradoxe, et met en lumière le rôle ténébreux de l’inconscient: Alors même que les deux types de pulsions sont en conflit, elles entretiennent des relations très intimes, intriquées. Les pulsions de mort, bien que contraires à la vie sont inhérentes à Eros car avant la vie était la mort (au sens de l’inorganique). Ainsi Eros tend-il à unifier dans le sens de la vie et de la construction, tandis que Thanatos détruit, réduit à néant le vivant. Pourtant l’une comme l’autre contribuent paradoxalement à la vie car les pulsions agressives, une fois socialisées, sont indispensables à la combativité ou à l’activité. Eros et Thanatos sont donc en définitive et malgré leur opposition des forces créatrices (car c’est de leur dualité conflictuelle que naît la créativité)- si tant est que Thanatos ne soit pas prédominant, enfermant alors le sujet dans un processus morbide. Le plaisir habituellement attribué à Eros s’obtient parfois en effet à travers l’expression de Thanatos (agressivité jouissive perverse, comparaison de l’orgasme à une « petite mort »), tandis que Thanatos s’exprime parfois dans le sens de la vie (agressivité nécessaire à la survie en situation de danger par exemple). De manière générale, il importe que prévale Eros sur Thanatos, afin que la vie soit préservée.
Le texte Eros et Pulsion de Mort a été écrit conjointement par le psychiatre François Ansermet, et le neurologue Pr. Pierre Magistretti. Les deux scientifiques collaborent depuis plusieurs années pour développer un lien entre les neurosciences et la psychanalyse en prenant en considération le paradigme de la plasticité neuronale. Dans le texte qu’ils ont rédigé pour le livre, ils partent du constat qu'entre le choix d'une situation plaisante et celle d'une situation déplaisante, les individus choisissent souvent la seconde sans s’en rendre compte. Soumis à certains mécanismes physiologiques et chimiques, l’être humain est susceptible de développer une addiction au déplaisir. Les auteurs explorent les mécanismes du plaisir et du déplaisir, et décortiquent le malaise individuel et collectif qui en découle et pèse sur l'époque contemporaine. Ils proposent néanmoins une issue à cette spirale destructrice induite par la pulsion, par le processus de création.
Les artistes invités à illustrer le texte interprètent de manière très différente ce thème de la pulsion et du désir.
Natacha Lesueur l’incarne dans une femme « gelée », une sorte médusa dont la chevelure figée personnifie l’expectative, la pamoison, ou la passion qui consume. Le mystère est entier, et évoque la puissance ravageuse du sentiment amoureux. Ce désir est symbolisé par la lumière dans la photographie que Tim Davis a choisie pour le livre, alors qu’un faisceau lumineux met en abîme tableau Icare et Dédale.
C’est par l’image du feu que Mat Collishaw représente le mythe d’Eros, en réalisant pour illustrer le texte des scientifiques la photographie d’un rapace noir se consumant dans l’obscurité. Evangelia Kranioti raconte quant à elle l’intensité du désir à travers l’immensité de l’océan et la liberté dans les ports, lieux de rencontre hors du temps pour les marins et les prostitués.
Pour illustrer Eros, l’artiste et historien David Levinthal a choisi de sublimer de façon mystérieuse un netsuke en isolant une scène érotique sur laquelle semble rayonner toute la chaleur du désir. L’image qu’Annette Messager a sélectionné pour le livre nous emmène dans les différentes dimensions de la réalité et du fantastique, les diverses strates du conscient et de l'inconscient, de la raison et de la déraison. L’artiste illustre ici avec beaucoup d’humour l’ambiguïté de la relation amoureuse. La dérision est également présente dans la photographie de Vik Muniz. Pour évoquer Eros, l’artiste a choisi de réinterpréter avec une grande virtuosité technique et la technique du collage un tableau scandaleux, l’Origine du Monde de Gustave Courbet.
Dans son œuvre Yes to All, Sylvie Fleury questionne la puissance cachée du langage et les stéréotypes qui s’y rapportent. Ce néon rouge a la couleur du désir, la forme du sexe de la femme, mais dénonce avec une ironie forte l’exigence permanente de disponibilité qui incombe aux femmes. Pour imager Eros, Mounir Fatmi a photographié deux stèles érotiques du site archéologique de Volubilis, auxquelles l’accès a récemment été interdit par les islamistes. L’artiste marocain a voulu rendre hommage à la sensualité ancestrale de sa culture, et dénoncer le puritanisme des fanatiques.
Valérie Belin interroge, à travers la photographie d’une danseuse de cabaret burlesque américaine les notions de représentation et d’identité. Son portrait de cette « poupée » hors-normes évoque à la fois les solarisations des surréalistes et l’univers fascinant du film noir d’antan.
La dernière photographie, réalisée par sylvie Fleury, fait éclater le rythme vertical, emblématique de Daniel Buren en une corolle « féminisée », qui ouvre des béances suggestives.
Le boitier du livre, réalisé par l’artiste Prune Nourry, évoque un miroir de lait sur lequel flotte la silhouette d’une femme enceinte, sculptée et réalisée en céramique. L’artiste qui se passionne pour les questions de procréation assistée, de bio-éthique et de la sélection des sexes qui prévaut dans certains pays tresse ainsi un lien subtil et fort entre érotisme et sociologie.
De manière générale, il importe que prévale Eros sur Thanatos, afin que la vie soit préservée.