LE LIVRE DE L’OUBLI ET DE LA LÉGÈRETÉ

“On croyait autrefois que l'oubli était dû à un échec des mécanismes de mémoire du cerveau. Mais de nouveaux développements en neurosciences au cours de la dernière décennie réfutent cette idée simple.”

C’est ainsi que commence le texte inédit du neuroscientifique Scott Small, avant d’explorer les bénéfices essentiels de l’oubli sur notre vie intime, sociale ou sur les dynamiques sociétales.

Scott A. Small, neuroscientifique américain, dirige le Centre de recherche sur la maladie d'Alzheimer à l'université de Columbia. Il est connu pour ses travaux sur la maladie d'Alzheimer et le vieillissement cognitif normal. Ses recherches portent sur l'hippocampe, un circuit cérébral ciblé par la maladie d'Alzheimer, le vieillissement et la schizophrénie.

Le texte du livre est composé d’aphorismes, qui contredisent certaines idées reçues sur le cerveau, et souligne l’importance vitale de l’oubli. À un niveau individuel, l’oubli a un rôle physiologique majeur: Il nous renforce face au traumatisme. Il nous permet aussi d’élaguer nos souvenirs et libérer de l’espace au sein de notre cerveau pour favoriser notre créativité. Etonnament, la thèse du Pr. Small, relative aux bénéfices de l’oubli, peut-être aisément reliée à l’oeuvre de l’artiste pakistano-américaine Shahzia Sikander:

Sikander a grandi et été éduquée au Pakistan, où elle a appris à exceller dans l’art de la peinture miniature d’Asie Centrale et du Sud. Contrainte par la situation politique de son pays et par une dynamique familiale complexe, l’artiste a décidé de s’expatrier aux Etats-Unis. La deuxième partie de sa vie, étudiante et professionelle, se déroule en Amérique, où Sikander “libère” la miniature de ses carcans afin de réinterpréter son pouvoir narratif. En faisant dialoguer les pratiques traditionnelles et historiques avec les pratiques artistiques internationales contemporaines, le travail polyvalent de Sikander nous ramène à cette idée de l’oubli. Oubli des traditions, des pressions culturelles ou des traumatismes, individuels ou collectifs. L’oubli est une protection, mais aussi un outil qui permet de faire le vide et créer un espace propice à de nouvelles connexions. Que garde-t-on “en tête”, que laisse-t-on “derrière-soi” en l’effaçant de notre mémoire? La mémoire n’est pas figée, elle est un flux permanent.

À travers ses peintures, animations vidéo, mosaïques et sculptures, Sikander interroge l’identité, la colonisation, la culture, et la liberté.

Dans ce Livre de l’Oubli et de la Légèreté un dialogue se créé entre les aphorismes du scientifique et les images de l’artiste, qui évoquent l’inconscient, les fantasmes et le rêve, et réinterprète certains codes d’une iconographie traditionnelle.

Ce livre en forme de lotus s’ouvre comme une fleur. Le lotus symbolise la pureté du corps, la fertilité, et la longévité (les graines de lotus ont une germination particulièrement longue). Fleur aquatique qui grandit en élévation, il représente aussi la légèreté. Ayant puisé les ressources de son épanouissement dans la boue des souffrances, le lotus s’épanouit au-dessus de l’eau tel le karma conduisant à l’éveil et l’illumination. Chaque pétale de ce lotus est un soufflet de papier, dans lequel sont cachés une oeuvre de l’artiste, une page de texte, une photographie du cerveau.

L'architecture du livre invite à chercher chacun des ses éléments dans ses différents compartiments, comme si on participait à une dissection du cerveau. Chaque compartiment révèle une surprise. En mettant à jour peu à peu les différentes oeuvres, on essaie de recomposer le puzzle de la psyche de ce cerveau de papier. Le texte contient également une introduction à l’anatomie du cerveau, rédigée par Scott Small et illustrée par Shahzia Sikander, ainsi que trois photographies scientifiques du département des neurosciences de Columbia University, représentant les dernières avancées de la recherche en matière d’imagerie. La qualité esthétique de ses images les apparente aux oeuvres d’art, et nous permettent d’imaginer la complexité immense du cerveau.

Le graphisme du livre a été imaginé par Atelier Tout va bien. La mise en page allie l’expérimentation plastique, la justesse typographique et la narration visuelle.

Les différents niveaux de superposition de blancs évoquent le va et vient des souvenirs.

Le caractère typograhique, Epicene a des origines baroques et a été inspiré par le travail de deux maestros du 18ème siècle : J-F. Rosart et J.M. Fleischmann. D'un point de vue typographique, les détails exagérés d'Epicene ajoutent de la rigueur dans les petites tailles et de la vigueur dans les grandes.

Culturellement, Epicene dit une chose : les caractères n'ont pas de genre. Un jeu de superpositions de papiers calques colorés dissimulent les informations en les noyant dans la couleur des pages, comme si elles avaient disparu dans l'oubli.

Sur l’étui du livre est représentée en embossage un personnage féminin emblématique de l’oeuvre de Shahzia Sikander, Havah. Havah signifie “air” ou “atmosphère” en ourdou, et “Ève” en arabe, en hébreu et dans d'autres langues. Ses appendices suggèrent des racines d'arbre, qui symbolisent pour l’artiste « l'auto-enracinement de la forme féminine (…) qui peut transporter ses racines partout où elle va ». Elle évoque aussi ce sentiment de liberté, d’élévation qui naît grâce à l’oubli.

Le boitier du livre a été imaginé par Christophe Gubéran, designer suisse diplomé de l’ECAL qui base son travail sur l’observation et l’expérimentation. Christophe collabore depuis 2014 avec le MIT à Boston. Il a dessiné des produits pour de nombreuses entreprises comme Nestlé, Alessi, USM ou Google et a reçu de nombreuses distinctions dont le Swiss Design Award à plusieurs reprises.

Pour ce livre Christophe a imiginé un entrelat de silicone, qui entoure le coffret comme une boite cranienne, et rappelle les circuits neuronaux par ses enchevêtrements. Il fait aussi référence aux “racines” fluides, qui ornent les membres des personnages de Shahzia Sikander, et représentent notre culture, notre histoire et nos émotions. Ce treillis de silicone a été réalisé à Boston, avec une nouvelle technologie brevetée, avant-garde et révolutionnaire, une impression 3D réalisée dans du liquide. Il s’inscrit dans une perspective écologique de durabilité, dans la mesure ou le silicone est un matériau issu non de la pétrochimie mais d’un matériau minéralogique, la silice et un monomatériau.